Avignon 2018 16 juil 2018

Remettre la création contemporaine au cœur de la politique culturelle

A l’occasion du Festival d’Avignon, la SACD organisait un débat autour du thème « Soutien à la création contemporaine d’auteurs vivants : une priorité politique ? ».

Premier à intervenir, Pierre Beffeyte, président du festival Avignon OFF, a rappelé combien être un auteur contemporain et vouloir créer pour la première fois son œuvre à Avignon pouvait être difficile. C’est pourquoi d’ailleurs, dans sa politique de soutien à la professionnalisation qui s’accompagne du souci de garantir  la rémunération des artistes et des auteurs, l’association AF&C, qui gère le OFF, avait mis en place un fonds d’aide à la professionnalisation. Parmi les critères d’éligibilité à ce fonds, un critère s’est imposé : la nécessité de présenter un projet de création contemporaine autour d’un auteur contemporain.

Au-delà de la situation avignonnaise, Pierre Beffeyte qui est également producteur et tourneur, fait le constat de plus en plus fréquent que dans les collectivités locales et notamment dans les théâtres de ville, arriver avec un projet d’auteur contemporain est compliqué. « Très souvent, on nous dit : ce spectacle est très beau mais ce n’est pas fait pour mon public. » Or, la fragilité de l’auteur contemporain réside dans la faille dans les mécanismes de création et de diffusion. S’il n’y a pas de diffusion, il n’y a pas de création. Sans qu’il y ait de solutions miracles, il lui semble pour autant indispensable de poursuivre l’accompagnement des auteurs contemporains et de rappeler aux directeurs de théâtre et aux élus locaux, qui font aussi parfois office de programmateurs et qui peuvent préférer aller sur des œuvres plus faciles, qu’à terme, le risque, c’est la disparition des auteurs contemporains alors même qu’on aurait besoin de davantage de paroles libres, ancrées dans la réalité.

Sortir de l'entre-soi

Autrice et présidente de la Commission Théâtre de la SACD, Brigitte Buc a une grande expérience du théâtre privé qui fait souvent prévaloir le casting pour faire le choix de monter ou non un projet . « D’emblée, on nous demande si c’est une comédie et qui serait l’acteur. » A quelques exceptions près, il est difficile de présenter des pièces de troupe. Elle craint également que l’entre-soi qui caractérise parfois le théâtre se renforce aussi avec le phénomène de concentration rencontré en ce moment dans le théâtre. Pour elle, il faut éviter l’appauvrissement de la création et de la diversité des regards et des démarches artistiques, qui sont une force de la création contemporaine.

Artiste associée à la Comédie de Caen, CDN de Normandie, Élise Vigier a dans son parcours toujours monté des textes contemporains. Dans le cadre de la compagnie des Lucioles ou auprès de Marcial Di Fonzo Bo, le parti pris a toujours été de penser que l’écriture contemporaine avait un public aujourd’hui, même si trop souvent, la société se retranche et, par exemple, les enseignants ont tendance à se diriger vers les textes plus classiques. Selon elle, c’est avec l’organisation de séances de lectures de textes contemporains, avec la présence de ces auteurs dans les territoires et avec des maisons d’édition qui jouent le jeu en éditant des textes contemporains qu’on pourra sortir de l’entre-soi et renforcer la place d’une création qui offre une représentation du monde d’aujourd’hui. En conclusion, Élise Vigier est convaincue que « le public est plus punk qu’on ne veut le croire ».

Ancrer la création dans les territoires

Pour Déborah Münzer, présidente de la Fédération nationale des Collectivités pour la Culture (FNCC), un constat est indiscutable : il n’y a pas assez d’œuvres contemporaines créées dans les théâtres. Le réseau d’élus de la culture qu’elle préside s’est assigné un objectif : « refavoriser l’action culturelle ». Par ce terme, elle signifie une volonté d’impliquer les auteurs vivants dans les territoires car il est essentiel qu’une création et qu’une œuvre puissent s’incarner dans un territoire. Ces élus sont d’ailleurs opposés à l’idée d’aller vers une politique qui viserait à accoler des noms prestigieux à des textes. Non seulement, ce genre de projet engloutirait rapidement les budgets des théâtres mais cela est contraire à ce que doit être une politique culturelle. Au final, elle souhaite bénéficier des politiques plus territorialisées et qu’on sorte de l’idée que la création doit se faire à Paris et que la diffusion se situe en province.

Aux côtés des collectivités locales, le Ministère de la Culture joue un rôle central dans le soutien à la création contemporaine. Plusieurs dispositifs existent d’ailleurs avec des soutiens directs : aides nationales à l’écriture dramatique (800 000 € par an) ; aides au montage ; résidences. Et aussi des soutiens indirects via notamment les réseaux labellisés qui doivent trouver un équilibre entre mise en avant des œuvres du répertoire et exposition de la création contemporaine.

Des réflexions sont en cours au sein du Ministère pour réformer ces systèmes d’aide et les rendre à la fois plus efficaces et plus en phase avec l’évolution de l’économie générale du spectacle vivant, comme l'a rappelé Sophie Zeller, déléguée Théâtre à la Direction générale de la création artistique. Avant, il y avait toujours au commencement un texte d’un auteur qui était monté par un metteur en scène. Désormais, la production du spectacle peut être différente, avec notamment l’écriture de plateau, qui peut être essayée collectivement sur la scène et écrite ensuite.

Cette réorientation de la politique publique pourrait passer par l’organisation d’une meilleure rencontre entre le texte et la mise en scène et vers un renforcement de la place des auteurs dans les résidences. Elle pourrait aussi se nourrir des chiffres et statistiques qui pourront être fournis par le dispositif d’observation du spectacle vivant en début d’année prochaine.

« Faire connaître ce qui existe »

Pour sa part, Bruno Studer, président de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, a annoncé que le Parlement se livrerait vers la fin de l’année à un nouvel exercice d’évaluation de la loi création de 2016 pour en mesurer l’application et les effets et éventuellement envisager les modifications à y apporter. L’automne sera globalement un moment important car il sera aussi marqué par le vote de la loi de finances et des crédits de la Culture, pour lesquels il sera vigilant. D’ores et déjà, ces derniers jours, le gouvernement a pris des mesures de dégel utiles à la culture.

Deux thèmes lui semblent essentiels dans l’actualité : la situation sociale des auteurs qu’il va s’agir d’améliorer ; la nécessité de faciliter la rencontre entre le creation et le public. Sur cette seconde priorité, il a rappelé le pari important que souhaitait faire le gouvernement avec la création du passe -culture. « L’objectif n’est pas de donner 500 € à un jeune mais de favoriser la rencontre entre l’offre et la demande, faire connaître ce qui existe ». D’ailleurs, l’algorithme de l’application géo-localisée qui sera lancée ne sera pas lié à sa consommation mais au contraire, à l’offre qu’on ne connaît pas et qui pourtant existe près de chez soi. Pour financer cette politique publique d’un montant de 400 millions d’euros, l’effort de l’Etat devra aussi être accompagné par celui des acteurs économiques.

Réagissant aux contours du passe-culture, Pierre Beffeyte a souligné qu’il devrait pouvoir référencer toute l’offre du spectacle vivant. En revanche, aujourd’hui, seuls les billetteries sont en mesure de le faire. Des billetteries qui deviennent aujourd’hui un problème pour les théâtres qui perdent le lien avec le spectateur.

En conclusion de ces débats, Pascal Rogard, qui animait ce débat, a rappelé qu’un art qui n’est plus en lien avec la société et les mouvements qui la traversent courre le risque de se dévitaliser. Dans ce contexte, la place de « l’auteur d’aujourd’hui » doit être centrale.

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