Cinéma 09 jan 2023

Hommage à Christine Laurent

Pascal Bonitzer salue la mémoire de la cinéaste Christine Laurent, qui fut administratrice de la SACD. 

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Christine LaurentIl est difficile pour moi de résumer Christine. Peut-être pas seulement pour moi. Dire bien sûr qu’elle était belle, talentueuse, et d’un tempérament de feu, ce sont des platitudes. Elle était à part. Elle faisait des films à part, et avant tout : ailleurs. Au Cap Vert (Eden Miseria), à Lisbonne (Vertiges), à Montevideo (Transatlantique). Seuls deux de ses films ont été tournés en France. C’est le signe d’un caractère aventurier, qui se moque des obstacles et en triomphe. (Films produits, souvent, par Paulo Branco, autre aventurier et mépriseur d’obstacles).

Si je devais trouver trois mots pour la définir, je crois que ce serait : courageuse, passionnée, déterminée.

La passion est le trait dominant des protagonistes féminines de ses films, à commencer par Isabelle Eberhardt, l’héroïne d’Eden Miseria. Sa détermination, je l’ai éprouvée pour avoir tenté de l’inciter à retravailler le scénario de Demain ?, et m’être vu opposer à la fois un refus courroucé et la certitude que ce film se ferait, contre vents et marées. Et elle l’a réalisé, en effet.

Je l’ai connue en 1976, quand Serge Toubiana et moi avons proposé à René Allio, dont elle était alors à la fois la compagne, la costumière et à l’occasion l’actrice, d’adapter “Moi, Pierre Rivière...”, ce document stupéfiant exhumé par Michel Foucault. Par la suite, je l’ai présentée à Jacques Rivette qui souhaitait avoir deux scénaristes plutôt qu’un, et qui aimait son premier film, A. Constant. Il nous a embarqués ensemble dans ses aventures aux fortunes diverses, mais toujours singulières et toujours passionnantes. Nous nous disputions beaucoup : cela faisait partie du jeu, un jeu dont Jacques imposait les règles et qu’il feignait d’organiser, un jeu de contraintes et de grande liberté.

Sur 36 vues du Pic Saint-Loup, alors que la mémoire immédiate le quittait (handicap terrible quand le scénario s’écrit au jour le jour), nous nous sommes sérieusement fâchés. Nous ne nous sommes pratiquement revus qu’il y a un an, lors de la rétrospective Rivette à la Cinémathèque. Elle était toujours aussi belle, et plus fâchée. J’ai le regret poignant de n’avoir pas saisi l’occasion de la revoir davantage. Je n’ai appris sa maladie, par notre ami et camarade de travail commun, Manu de Chauvigny, que les tout derniers temps.

“Trop tard”, je le soupçonne, était le sujet secret de tous ses films. 

Pascal Bonitzer