Rencontre 01 fév 2016

Fiction : continuité à France Culture, chantier en cours à France Inter

En décembre dernier Pascal Rogard recevait trois invitées pour parler de la fiction à Radio France : Laurence Bloch, directrice de France Inter, Sandrine Treiner, directrice de France Culture et Blandine Masson, directrice de la fiction de France Culture.

 

Au sein de Radio France, la fiction est avant tout portée par France Culture. « La chaîne a  autant pour vocation d’analyser le monde que de le mettre en récit », a souligné sa nouvelle directrice Sandrine Treiner, qui a succédé à Olivier Poivre d’Arvor après avoir été son adjointe pendant 5 ans. Selon elle, le récit permet « de penser de manière singulière, de rentrer dans le monde par la fibre sensible, ce dont on a tous besoin. »

Blandine Masson, directrice de la fiction depuis 10 ans, a ajouté que « les directeurs de France Culture ont toujours soutenu fortement la fiction, et que celle-ci « occupe une vraie place, destinée à se développer ». Sur France Culture, la fiction se décline actuellement en cinq cases. Deux sont quotidiennes : La Vie moderne (fictions courtes à 11h50) et le feuilleton (de 20h30 à 20h55), qui s’inscrit systématiquement dans le top 5 des podcasts de la chaîne. Trois sont hebdomadaires : Samedi Noir autour du genre, Théâtre et Compagnie le dimanche soir, et l’Atelier Fiction, le mardi soir, « avec des textes plus contemporains, à la croisée du théâtre, de la littérature et de la poésie ». France Culture dispose d’un bureau de lecture, « une instance très précieuse » selon Blandine Masson, qui lit tous les textes (300 à 400 par an) et répond à tout le monde.

La directrice a évoqué le recrutement récent de nouveaux réalisateurs, soulignant que cela avait été « l’enjeu majeur de ces dernières années ». Il y a eu ainsi deux recrutements à cinq ans d’intervalle (2010 et 2015), ce qui est exceptionnel au vu des dates des recrutements précédents (1947, 1968, 1986, 1996). La station peut aujourd’hui s’appuyer sur « une dizaine de réalisateurs autour de la trentaine, qui amènent leur modernité, leur rapport au rythme et à leur époque ».

La présentation de France Culture a suscité peu de questions, mais un regret de la part de plusieurs auteurs : la disparition des cases jeunesse (Les Histoires du pince oreille, puis Enfantines), un sujet déjà abordé en 2013 lors de la rencontre avec Olivier Poivre d’Arvor. « Les Histoires du pince oreille était une émission pionnière, car elle est née à une époque où il n’existait même pas de livres audio, mais depuis, il existe beaucoup de choses, a justifié Blandine Masson. Nous ne remettrons pas une émission régulière à l’antenne, mais nous n’avons pas abandonné la fiction jeunesse : nous avons développé la fiction enregistrée en public, noué un partenariat avec le festival de Brest, envoyé des fictions dans les écoles… La BBC a fait la même analyse que nous. Elle programme des émissions pour la jeunesse pendant les vacances, mais pas de façon régulière ».

Regrets et inquiétudes au sujet de France Inter

Si la fiction fait partie de l’ADN de France Culture, ce n’est pas le cas de France Inter, axée sur l’information, l’humour et la musique. « La fiction, le récit, les histoires ne sont pas quelque chose que la chaîne revendique », a indiqué la directrice de la chaîne, Laurence Bloch. Pour autant, celle qui a fait une partie de sa carrière à France Culture, a clairement affirmé : « Tant que je serai sur Inter, il y aura de la fiction sur Inter ». Laquelle ? Le chantier est encore en cours. « Je crois beaucoup à la force du texte et à la force du romanesque pour éclairer l’actualité mais pour que la fiction existe, il faut lui donner une ligne. Il faut trouver le fil qui soit attendu par les auditeurs et qui soit complémentaire des autres chaînes ». Depuis la rentrée, France Inter développe ainsi un fil historique, avec deux cases hebdomadaires : le vendredi après-midi dans le cadre de l’émission quotidienne Affaires sensibles, autour de l’histoire contemporaine, avec Christophe Barreyre, et Autant en emporte l’histoire, le dimanche soir, pour une histoire plus romanesque, avec Stéphanie Duncan. Laurence Bloch réfléchit aussi à d’autres pistes : une histoire plus immédiate, voire une fiction politique… Et « ne désespère pas, d’installer un feuilleton, resté dans l’inconscient des auditeurs d’Inter ».

L’évolution récente de la ligne de France Inter a concentré l’essentiel des débats. Les  auteurs ont regretté la suppression des Nuits blanches et le rétrécissement des formats (de 30’, à 20’ puis à 8’) sous Philippe Val, et plus récemment « la mise à la retraite forcée » du directeur de la fiction, Patrick Liegibel et l’arrêt de Nuits noires. Pour les auteurs, Nuits blanches comme Nuits noires permettaient une vraie liberté dans l’écriture, ce qui n’est pas le cas des deux cases actuelles, très bordées en termes de formats et de sujets. « La transition a été brutale, et je fais partie des auteurs qui ne travaillent plus, j’ai envoyé des courriers, mais on ne m’a jamais répondu », a souligné une auteure.

Laurence Bloch a répondu que Stéphanie Duncan allait répondre à tout le monde, mais qu’elle n’était là que depuis le mois de septembre, et qu’elle avait en priorité assuré l’antenne. Elle a aussi justifié ses choix, tout en expliquant que rien n’était figé. « Une fiction au milieu de la nuit (Nuits noires, ndlr) n’était pas légitime, et je l’ai changé dès que je suis arrivée. Installer Autant en emporte l’histoire à 22h, derrière une émission emblématique comme Le Masque et la Plume où l’on donne le goût du texte, du cinéma, du romanesque et de la littérature, est pour moi un signe fort, de nature à conforter les auditeurs que la fiction est une matière noble et moderne ».

Laurence Bloch a toutefois réagi positivement à la demande d’une plus grande liberté. « Je ne peux pas vous dédier une case blanche, mais j’entends que vous avez des idées qui ne rentrent pas dans les cases identifiées. Il faut réfléchir à une manière d’accueillir ces propositions. Je vais demander à Yann Chouquet, délégué aux moyens de production, d’y réfléchir ».  France Inter ne dispose pas en effet d’un bureau de lecture comme France Culture.

Questions sur le budget, les réalisateurs, les droits d’auteur …

Sophie Loubière, administratrice radio de la SACD, a évoqué d’autres sujets d’inquiétude, comme le budget de Radio France et la difficulté pour France Inter d’avoir accès aux réalisateurs, qui travaillent aussi bien pour Culture que pour Inter. Sur le budget, Laurence Bloch s’est montrée rassurante. « Radio France est en effet en difficulté avec un déficit de 50M €. On m’a demandé un effort de 3% en 2016 et en 2017, mais je ne toucherai pas au budget de fiction. Ce n’est pas un budget énorme, et il faut le protéger pour avoir le temps de fabriquer quelque chose qui ait du sens. »

Blandine Masson a répondu sur les réalisateurs, soulignant que le problème était circonstanciel, lié à la disparition soudaine de deux réalisateurs qui travaillaient beaucoup pour Radio France (Jacques  Taroni et François Christophe), puis à la grève l’an dernier, mais que la situation était en train de se stabiliser.

« Il faut écouter les auteurs »

Au fil de la rencontre, les auteurs ont témoigné de leur isolement et regretté de ne pas être sollicités en amont, pour apporter leurs idées, leur univers et leur imagination. Le cinéaste et vice-président cinéma de la SACD, Bertrand Tavernier, a dit partager les craintes des auteurs radio face aux médias qui ont de plus en plus tendance à imposer leurs normes. « J’ai mis 18 mois à monter La Princesse de Montpensier car on me disait que le public ne voulait pas de sujet historique. J’ai finalement fait 800 000 entrées. Il faut écouter les auteurs. Il y a un réel manque de communication entre les auteurs et ceux qui leur passent commande ».

Un auteur a aussi souligné la méconnaissance mutuelle des contraintes de chacun, et a appelé auteurs, comédiens, réalisateurs et producteurs à se regrouper pour trouver les moyens de mieux travailler ensemble. Sophie Loubière a rappelé le rendez-vous du 23 mars, indiquant que le comité interprofessionnel examinerait l’opportunité de créer une association d’auteurs radio.

Béatrice de Mondenard