Télévision 03 fév 2016

Disparition d’Eric Kristy

Didier Cohen rend hommage à « l’auteur majeur de la fiction française » et à l’homme d’exception.

Eric Kristy

Sophie Deschamps, présidente du conseil d’administration 

Eric Kristy nous a quittés. Le conseil d’administration et moi-même avons demandé à son ami le plus proche, Didier Cohen, de lui rendre hommage, lui qui le connaissait mieux que quiconque. Ils ont parcouru beaucoup de chemins ensemble et l’un d’eux les a conduits au conseil d’administration de la SACD. La disparition d’Eric nous touche tous profondément.

L'hommage de Didier Cohen

S’il y a une chose que j’ai toujours redouté d’avoir à faire un jour dans ma vie, c’est d’écrire l’hommage à un ami trop tôt disparu.
Ce jour est hélas arrivé ce 2 février 2016. Eric Kristy nous a quittés ce matin…

Musicien et chanteur avec le groupe Bluegrass Connection qu’il avait co-créé dans les années 1970, parolier sur quelques albums de Richard Gotainer que je vous recommande, critique polar au Quotidien de Paris, romancier et scénariste… Eric touchait à toutes ces disciplines artistiques avec la même grâce. Avec la même passion et le même appétit. Mais c’est l’écriture qui, au final, prit le plus de place dans sa vie. D’abord auteur de plusieurs romans au Fleuve Noir (Horde Nouvelle) et à la Série Noire (Pruneaux d’Agent et Circulez). Ensuite scénariste-dialoguiste, il signa ou co-signa plus de soixante scenarios de films unitaires mais aussi des épisodes de séries les plus populaires du moment parmi lesquelles des épisodes de Julie Lescaut, L'Instit, Imogène, Chien et Chat mais aussi Les Bœuf-carottes et la bible française ainsi que les deux premiers épisodes de Doc Martin… Dans ses scripts, Eric avait horreur des invraisemblances et de la sensiblerie, il soignait particulièrement la structure dramatique et les dialogues auxquels il ajoutait toujours « sa » dose d’humour. Son sens inné de la punchline faisait mouche à tous les coups ! Il écrivit également des unitaires aux sujets « politiquement dérangeants » comme  Traitement de Choc que la chaîne préféra programmer très, très tard dans la nuit… C’est dire ! Sur sa lancée, il créa plusieurs séries emblématiques qui ont fait les belles heures des soirées télévisuelles des années 1990 et 2000 : Une Femme d’Honneur, Franck Keller, Le Proc…

L’imagination toujours en ébullition, il cherchait sans cesse de nouveaux sujets, de nouveaux défis. Il s’en trouva un de taille en s’attaquant à la jeunesse tourmentée de Georges Brassens pour lequel il avait une admiration sans borne depuis l’adolescence. Cela donna en 2011 le très réussi biopic Brassens, la mauvaise réputation.

Eric était un boulimique de l’écriture. Il cassa je ne sais combien de claviers de son Mac à force de taper dessus ! Il était aussi un gourmand de la Vie.

Très impliqué dans la défense des auteurs, Eric fit partie des pionniers qui se lancèrent dans le combat pour la reconnaissance du métier de scénariste. Ce fut la première Guilde à laquelle il participa activement puis surtout le Club des Auteurs qui insuffla un élan décisif au mouvement. Eric fut ensuite jusqu’en 2010 le vice-président de l’équipe de Scénaristes en Séries, le premier festival créé par des auteurs de télévision professionnels. Il siégea aussi, comme élu des scénaristes de télévision, au Conseil d’Administration de la SACD de 2007 à 2010.

Auteur majeur de la fiction française, c’est tout naturellement qu’il fut décoré des insignes de Chevalier des Arts et des Lettres en 2010.

Observateur à l’œil acéré, d’une curiosité insatiable et d’un humour dévastateur, il scannait les événements et les êtres avec finesse et intelligence. Rien, pas le moindre détail ou faux-semblant ne lui échappait !

Son sens critique était sans concession et ses coups de griffe redoutables.

A chaque fois qu’on se voyait, on riait beaucoup ! On se moquait aussi pas mal, c’est vrai. Des autres mais également de nous-mêmes, ça faisait une moyenne !
Sa présence, son intelligence, son amitié toujours bienveillante nous manquent déjà cruellement.

En écrivant ces lignes, je revois son sourire et son regard clair. Je pense à ses proches qui sont dans la peine et le deuil. Sa mère et sa sœur Nathalie, sa femme si dévouée Pascale, ses filles Dorothée et Chloé et bien sûr Ava, sa petite merveille de petite-fille qui lui a apporté tant de bonheur ces dernières années…

Plus qu’un ami, Eric Kristy était un frère pour moi.

Il l’était depuis plus de trente ans, d’une fidélité sans faille – chose trop rare dans ce métier - et le restera pour toujours dorénavant.

Didier Cohen

photo : © Didier Cohen