Culture 11 mai 2020

Pourquoi nous battons-nous si ce n'est pour notre culture ?

La SACD réagit aux propos tenus mercredi dernier par le président de la République.

À l’heure où la France entame son déconfinement, la SACD s’inquiète et s’interroge sur les perspectives et les ambitions pour la politique culturelle française en général et pour celle à l’égard des auteurs en particulier. Car comme l’avait dit Churchill, pourquoi nous battons-nous si ce n’est pour notre culture ?

À l’occasion de son intervention le 6 mai, le président de la République a pris deux engagements fermes et positifs qui étaient attendus et espérés.

D’une part, la confirmation de la transposition au 1er janvier 2021 des directives sur les services de médias audiovisuels et droit d’auteur, à laquelle il faudra ajouter la directive Cab-Sat, permettra de mieux défendre le droit des auteurs à l’ère numérique, de faire contribuer les plateformes à des obligations de financement de la création et de protéger les catalogues et le patrimoine audiovisuel et cinématographique français. La SACD souhaite une transposition très rapide, si possible avant la date limite du 30 septembre qui s’impose à la France pour transposer la directive sur les services de médias audiovisuels, pour introduire ces progrès dans notre régulation.

D’autre part, le prolongement d’une année des droits des intermittents jusqu’au mois d’août 2021 va soulager et sécuriser nombre d’artistes et de techniciens qui pourront ainsi bénéficier d’une prise en charge ces prochains mois.

Par ailleurs, l’annonce de la préparation d’un fonds d’indemnisation temporaire pour venir en aide aux tournages annulés ou reportés sera un élément fondamental pour reprendre les tournages de films et de fictions dans notre pays.

Ces décisions importantes qui devront se traduire dans des délais rapprochés sont pour autant insuffisantes pour dessiner une vision et fixer un cap pour notre politique culturelle.

Sans attendre une quelconque injonction, les auteurs ont su depuis des décennies se renouveler, travailler différemment, appréhender les nouvelles technologies, créer de nouvelles formes, construire de nouvelles relations avec les publics et investir les écoles.

Dans le contexte actuel, ils attendent de l’État un même esprit de créativité, une réelle ambition et une capacité à sortir des sentiers comptables tracés depuis de longues années, en particulier pour l’audiovisuel public, et qui emmènent l’ensemble de la création dans des ornières embourbées.

C’est aux pouvoirs publics aujourd’hui de se réinventer, de remettre en question ces choix souvent budgétaires qui affaiblissent le soutien à la création et de se donner les moyens de répondre à la crise comme de réussir la relance culturelle.

Pour autant, répondre à l’urgence de cette situation ne doit se faire ni dans l’impréparation ni dans l’improvisation. Or, les pistes évoquées pour assurer dès à présent la présence d’auteurs dans les établissements scolaires ou cet été dans le cadre de colonies laissent plus que perplexes.

Intervenir face à des enfants ne s’improvise pas et ne répond pas nécessairement aux motivations, aux compétences ou aux projets professionnels de créateurs dont l’activité principale est bien d’être avant tout des réalisateurs, des scénaristes, des vidéastes, des chorégraphes, des écrivains de théâtre, des metteurs en scène...

Ayant pris l’initiative d’opérations d’éducation artistique et culturelle comme « Un Artiste à l’École » ou du fonds de dotation Auteurs Solidaires à la base notamment de projets culturels innovants entre des auteurs et des élèves, la SACD sait combien la préparation avec les établissements et les enseignants et un haut niveau d’exigence sont nécessaires pour réussir de tels projets.

La SACD regrette globalement que la volonté souvent rappelée de placer les auteurs au cœur des politiques culturelles n’ait eu aucune traduction ni aucun écho dans le discours présidentiel, sinon celui de préparer les auteurs à une forme d’économie de la débrouille.

Près de deux mois après la fermeture des théâtres, des cinémas et l’interruption des tournages et sans perspective définitive de reprise ou de réouverture, aucune annonce n’a été faite pour envisager un accompagnement financier sur le long terme alors que beaucoup de ces auteurs, qui ne sont pas intermittents, seront sans ressources et sans revenus pour encore plusieurs mois.

Malheureusement, l’exonération de cotisations sociales pendant 4 mois ne saura être d’aucun secours pour des auteurs, notamment de spectacle vivant, dont les œuvres ne seront pas jouées et qui ne percevront aucune rémunération.

Les initiatives prises notamment par la SACD, avec les concours financiers du CNC et du ministère de la Culture, pour mettre en place des fonds d’aides aux auteurs devront impérativement se prolonger dans les prochains mois.

Mais, la réponse publique devra aussi être plus massive et reposer sur une ambition partagée, souhaitée par le président de la République, autour d’un plan d’ampleur et puissant de relance par la culture, pour la culture et avec les auteurs.

D’autres secteurs particulièrement touchés par la crise, comme la restauration, l’hôtellerie ou l’aéronautique, ont déjà obtenu des engagements fermes en faveur de l’adoption rapide de plans de relance spécifiques. La même urgence dans l’action doit prévaloir pour la culture et l’ensemble de ses professionnels, eux aussi très lourdement impactés par le Covid-19.

Enfin, la sortie de crise ne peut s’envisager sans un renforcement de l’Europe de la culture, trop faible aujourd’hui. Au-delà des engagements financiers que l’Europe doit prendre, la France, dont la parole a toujours compté pour porter une ambition culturelle, doit saisir l’opportunité de faire progresser l’Union dans deux directions : faire enfin émerger une plateforme de distribution audiovisuelle numérique européenne, autour notamment des services d’ARTE et avec les services publics ; défendre les outils de diversité culturelle menacés face à l’impérialisme commercial américain et aux risques que fait peser le Brexit.