Théâtre 30 jan 2017

Philippe Caubère : « L'écriture est une aventure personnelle, physique, mentale »

L'auteur, comédien et metteur en scène, qui a exploré comme personne l'exercice autobiographique sur scène, s'est longuement raconté le 25 janvier dernier à la SACD pour Mots en scène. A revoir en intégralité en vidéo.

Philippe Caubère était en verve face à Oliver Barrot le 25 janvier dernier : "Comme disait Meyerhold, le pire ennemi du théâtre, ce n'est pas le cabot, c'est l'acteur bourgeois." Cabot, l'auteur et comédien sait l'être et a mille fois raison de ne surtout pas s'en excuser. Face à une Maison des Auteurs de la SACD archicomble, il a pris un plaisir communicatif à rapporter une énième fois mais en donnant l'impression de les raconter pour la première fois, une foule d'anecdotes sur ses années de formation auprès d'Ariane Mnouchkine, ses débuts cauchemardesques d'auteur ou encore sur le tournage de La Gloire de mon père.

Cours de comédie sur le port

L'origine de sa passion pour le théâtre, Philippe Caubère la fait très précisément remonter à son année de CM1, quand il fut désigné pour jouer la poissonnière dans une crèche (ou comme on dit dans sa ville natale, Marseille, une "pastorale"). Son père lui conseilla de non pas réciter le texte de la poissonnière mais d'être la poissonnière et l'emmena pour la peine sur le port pour qu'il puisse observer les professionnels à l'oeuvre. "Ce fut ma première approche stanislavskienne de la comédie." Et son premier succès. "Je ne marchais plus sur terre à la sortie du spectacle et j'ai compris à ce moment-là que je voulais faire ça toute ma vie."

L'Enfant du Soleil

Viendra l'aventure Théâtre du Soleil entamée à 21 ans et sa rencontre décisive avec l'emblématique directrice de la compagnie, Ariane Mnouchkine. A ses côtés, il découvrira la comédie mais aussi l'écriture : "Je suis venu à l'écriture par une ruse de comédien à laquelle m'a sensibilisé Ariane : l'improvisation." C'est en travaillant cette technique qu'il réalise qu'il pourra s'en servir pour jouer sa vie, en se racontant à la manière de Proust, sur scène. En attendant, il décroche le rôle qui va changer sa vie : celui de Molière dans le film que réalise Mnouchkine en 1978. Dans la foulée, il monte Dom Juan à la Cartoucherie, spectacle à succès qui sera la cause de sa fâcherie avec sa directrice et de son départ du Soleil après 7 années de collaboration.

Le champ de betteraves

Dans Molière, Philippe Caubère a pour père, à l'écran, Armand Delcampe. Ce grand admirateur de Jean Vilar l'enrôle dans l'Atelier-Théâtre qu'il a créé à Louvain-la-Neuve, en Belgique. En l'espèce : "un chapiteau fiché au milieu d'un champ de betteraves". Caubère se retrouve à travailler sous la direction du metteur en scène tchèque, Otomar Krejca, exfiltré d'URSS en voiture par Delcampe lui-même. Le vieil homme, malvoyant et peu au fait des usages du théâtre français, montera dans des conditions rocambolesques, un Lorenzaccio vilipendé à Avignon et Les Trois Soeurs de Tchékhov, expérience d'un ennui mortel pour Caubère, qui après s'être endormi sur scène en pleine représentation, décide de mettre fin au calvaire.

Hostile écriture

Libre de tout engagement, le comédien voit enfin là l'occasion de se lancer dans l'écriture de son premier spectacle : "L'écriture dura un an. Ce fut cauchemardesque." Atteint du syndrome de la page blanche, sans le sou, Philippe Caubère finit par se rendre malade. Il trouvera le salut en s'en remettant encore une fois à l'improvisation auprès de son camarade metteur en scène Jean-Pierre Tailhade, alors installé à Lisbonne.

Il revient du Portugal avec 70 heures d'enregistrement où les personnages de sa mère et d'Ariane Mnouchkine occupent une place centrale. Il en tirera en 1981 La Danse du diable, texte fondateur qu'à son sens, il n'aurait jamais écrit sans cette situation de précarité financière et psychologique. "A l'époque, je ne ne me consolais pas du Théâtre du Soleil. C'était pour moi une 2e enfance perdue, et je me retrouvais dans une deuxième adolescence, moi qui avais vécu la première comme un enfer. J'étais animé d'une pulsion de mort, et je faisais tout ça pour ne pas mourir. C'est ça l'écriture : une aventure personnelle, physique, mentale. Un territoire hostile où il faut n'avoir rien à bouffer et approcher d'une petite mort, pour atteindre l'écriture juste. Celle qui fait que le public a la conviction que vous n'auriez pas pu dire ce que vous dites autrement. "

Retour en Provence

La Danse du diable fut un immense succès qu'il rejoue encore ponctuellement et qui donna le la d'une œuvre théâtrale résolument autobiographique et intense. L'auteur et comédien y a consacré une large partie de sa carrière même s'il s'est aussi accordé des respirations, notamment au cinéma. L'une des plus chères à ses yeux : le tournage des deux films d'Yves Robert adaptés en 1990 de Marcel Pagnol, La Gloire de mon père et Le Château de ma mère. "J'étais très méfiant à l'idée de cette adaptation de Pagnol, ma première passion. Mais le scénario était tellement magnifique... J'y retrouvais l'émotion de mon enfance et voyais dans le personnage de Joseph, une opportunité de réconciliation avec mon père, comme ce fut le cas pour Pagnol avec son propre père à l'écriture du roman..."

Philippe Caubère garde un souvenir précieux de ce pèlerinage de 6 mois sur les lieux de son enfance : "Moi qui me lève tard comme tous les comédiens au théâtre, je retrouvais, pendant le tournage, le plaisir de me lever tôt et de profiter des ambiances du matin. C'était un voyage proustien." Pagnol et Proust, Proust et Pagnol : ces deux maîtres sont omniprésents dans l'œuvre de Philippe Caubère, encore aujourd'hui. Le temps a manqué pour en parler davantage mais Olivier Barrot a fait la promesse de poursuivre un jour cette conversation, en réinvitant Philippe Caubère à la Maison des Auteurs de la SACD. Rendez-vous est pris.

Prochain numéro de Mots en scène : Antoine Rault, le 1er février 2017