Théâtre 20 jan 2016

Hélène Cixous : « Du théâtre, j'attends tout »

L'essayiste, romancière, dramaturge, collaboratrice de longue date d'Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil, était l'invitée du journaliste Olivier Barrot à la SACD le 2 décembre. En sa compagnie, elle est revenue sur son œuvre dramatique en confessant un émerveillement permanent et encore intact à l'égard du théâtre.

Succédant à Pierre Barillet, Hélène Cixous était la deuxième invitée de la saison de Mots en scène, un rendez-vous autour de l'écriture dramatique proposé par Olivier Barrot et la SACD. Entre deux lectures d'extraits de ses pièces, l'auteure s'est livrée longuement en commençant par une belle déclaration d'amour au théâtre : "Le théâtre s'est depuis toujours présenté à moi comme le monde des merveilles. De lui, j'attends tout." Pour l'auteure, il propose le plus passionnant des défis : " Arriver à une grandeur avec du tout petit, aller très très haut, être surnaturel, tout en restant humain."

Au départ, elle n'a pourtant aucune inclinaison particulière pour le genre. Sur les conseils d'une amie, elle tire de son roman Portrait du soleil, une pièce, Portrait de Dora, mise en scène par Simone Benmussa lors de la saison 1975/1976 au Théâtre d'Orsay. Malgré le succès, elle ne persévère pas. Mais séduite comme spectatrice par le spectacle 1789, elle se prend d'admiration et d'amitié pour la troupe du Théâtre du Soleil. Ariane Mnouchkine finira par la convaincre d'écrire pour elle. Leur collaboration dure encore à ce jour.

L'Asie, source d'inspiration

"Ariane m'a poussé vers où je suis encore, l'Asie, qui était son pays de théâtre à elle", raconte Hélène Cixous. Pour sa première pièce pour le Théâtre du Soleil, elle se tourne vers le Cambodge dont la situation lui évoque Shakespeare, son maître. Elle écrit L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (1985), qui convoque de nombreuses figures historiques parmi lesquelles Henry Kissinger ou Pol Pot. Elle ne se rendra sur place qu'en cours d'écriture. "Je voulais d'abord écrire une première partie avant de me laisser submerger par le réalisme sur place. Les grands, c'est facile de les faire parler, mais le peuple, c'est plus difficile." Là-bas, elle part à la rencontre de réfugiés dans des camps. "Au retour nous avons travaillé avec des khmers réfugiés en France et d'autres que nous avons tirés de ces camps et fait entrer dans la troupe."

Elle écrira ensuite sur l'Inde. Au départ, elle envisage avec Arianne Mnouchkine de consacrer une pièce à Indira Gandhi, encore sous le coup de l'émotion après son assassinat en 1984. Mais après 3 mois sur place, Hélène Cixous constate qu'elle se trouve dans une impasse. "Ce qui ressortait, c'est qu'Indira Gandhi n'avait aucune grandeur. Je ne voyais pas comment catapulter ce personnage dans le firmament du théâtre. Elle venait de mourir, je n'étais pas libre de l'inventer complètement. Ce ne serait possible que 30 ans plus tard." Ensemble, l'auteure et sa partenaire décident donc de remonter d'une génération et de s'attaquer à un événement plus ancien, la partition de l'Inde en 1947, avec pour protagonistes Gandhi, Nerhu et le Pakistanais Muhammad Ali Jinnah. Ce sera L’Indiade (1987).

L'Asie, Hélène Cixous et le Théâtre du Soleil, ne cessent depuis d'y revenir. L'auteure devait justement en décembre rejoindre Ariane Mnouchkine en Inde, dans le cadre de l'Ecole Nomade du Théâtre du Soleil. Tambours sur la digue (1999), inclassable "pièce ancienne pour marionnettes jouée par des acteurs" se nourrissait, elle, de nô, cette forme de théâtre japonais. Mais l'oeuvre dramatique d'Hélène Cixous a pu également puiser dans le folklore scandinave ou dans la tragédie grecque, comme dans La Ville parjure (1994), réflexion sur le scandale du sang contaminé au prisme des Euménides d'Eschyle.

Mémoire

Le sujet sur lequel elle écrit aujourd'hui, elle préfère, comme le veut la tradition, ne pas en parler tant qu'il n'a pas vu le jour. "Et heureusement, ajoute-t-elle car, on peut toujours changer de direction." Alors qu'elle avait déjà livré plusieurs versions de travail des Naufragés du Fol espoir (2010), Ariane Mnouchkine vint la voir avec en main, un roman de Jules Verne trouvé dans la rue. "Pendant que nous parlions, j'ai été traversée par cette sombre pensée : nous avions encore changé de sujet. Et c'était exactement ça."

Pour son dernier projet en date, Hélène Cixous a déjà écrit 3 pièces qui ne seront pas jouées. Elles ont heureusement été préservées à la Bibliothèque Nationale. La mémoire est en effet devenue une priorité pour elle et pour le Théâtre du Soleil. De l'époque où la troupe travaillait sur Sihanouk, ne reste ainsi qu'une unique captation. Désormais chaque répétition est archivée. Une trace précieuse pour les amoureux des mots et du théâtre.