Musique 24 oct 2017

Pierre Henry pour ouvrir le cycle "La Musique comme Théâtre"

Une rencontre autour du compositeur disparu était organisée le 12 octobre dernier pour inaugurer une nouvelle série de rendez-vous sur les rapports entre musique et scène.

Sur le modèle de Mots en scène, le cycle de rencontres sur l'écriture dramatique, la commission Musique de la SACD et sa présidente Catherine Verhelst ont décidé de consacrer plusieurs rendez-vous à de grands compositeurs et à leur rapport aux autres répertoires de la SACD (cinéma, théâtre, danse...). Et pour commencer c'est à Pierre Henry, figure majeure de la musique concrète ou électroacoustique disparue le 5 juillet dernier, qu'a été dédié le premier numéro. La soirée s'est ouverte avec la projection du documentaire Pierre Henry ou l’art des sons (Mémoire Magnétique, ARTE France, 2006), réalisé par Eric Darmon et Franck Mallet, avant que montent sur scène plusieurs anciens collaborateurs du compositeur, pour évoquer souvenirs et anecdotes sur leurs travaux communs. Car, comme l'a rappelé le journaliste Franck Mallet, la musique de Pierre Henry fut dès le départ visuelle et perméable au théâtre et à la danse, notamment à la suite de sa rencontre décisive avec le chorégraphe Maurice Béjart. Les deux hommes montèrent ensemble Messe pour le Temps au festival d'Avignon en 1967. 

Une partition de 17 mètres de long

La chorégraphe Mié Coquempot a raconté comment elle avait monté son spectacle PH en 2012 avec le compositeur. La genèse en fut un peu compliquée : "Je lui ai proposé d'isoler chacun des sons de Toccata. Il a évidemment refusé." Elle ajoute finalement au projet, sur sa suggestion, deux autres pièces de Pierre Henry, Envol et Empreintes. "J'avais dès lors la possibilité d'explorer la verticalité : pour Envol, qu'il qualifiait de sa pièce la plus pure, j'ai suspendu les danseurs et pour Empreintes, qu'il disait être sa pièce la plus vulgaire, je les ai mis par terre, avec, entre les deux, Toccata, pour laquelle j'ai voulu un travail chorégraphique presque contrapuntique ."  Pour s'attaquer à Toccata, elle procède méthodiquement : "Avec Jérôme Andrieu, mon assistant, nous avons dépiauté la pièce pour que je puisse distribuer les sons aux danseurs. Nous en avons tiré un document Excell devenu une fois imprimé une partition de 17 mètres de long. Pour que cela respire ensemble, il était nécessaire de rajouter de l'élasticité : nous fixions des rendez-vous précis et entre deux, le danseur pouvait faire du "rubato"."  Mié Coquempot et Pierre Henry retravailleront à nouveau semble sur Rhythm, pour lequel cette fois, Pierre Henry compose la musique à partir d'éléments de chorégraphie imaginés avec Jérôme Andrieu et captés en vidéo. 

"One-man-show métaphysique"

Le comédien et auteur de théâtre Jean-Paul Farré a lui créé avec Pierre Henry un spectacle basé sur le poème Dieu de Victor Hugo en 1977. Il se souvient comme d'une épreuve de la mémorisation des quelque 2h30 de texte qui composaient ce "one-man-show métaphysique".  Mais garde un excellent souvenir des 30 représentations données à l'époque, toutes différentes, puisque Pierre Henry était lui-même à la console chaque soir et "balançait le son" selon ses envies. D'ailleurs, les deux hommes reprirent le spectacle en 2009 cette fois dans la demeure de Pierre Henry, sous le titre Dieu à la maison

Nicolas Vérin qui fut l'un des assistants du compositeur et collabora notamment avec lui sur Hugosymphony, inspiré là encore de l'oeuvre de Victor Hugo, se souvient des discussions entre Pierre Henry et la chanteuse Martine Viard. "Quel dialogue entre eux à propos du texte et des objets qui figuraient sur scène !" Plus généralement : "Toute musique porte une dramaturgie mais celle de Pierre Henry, particulièrement : il était percussionniste et chez lui, le geste est très important, dès la création du son."

Cloches tubulaires

Le compositeur Thierry Balasse rappelle que l'un des apports principaux à la musique de Pierre Henry avec son compère Pierre Schaeffer fut de faire du studio un instrument de musique. "Après la première révolution que fut l'écriture musicale, la seconde, qu'amène la musique concrète, est celle de l'enregistrement sonore." Cela ne l'empêcha pas de proposer justement à Pierre Henry l'idée folle de jouer live sa fameuse Messe pour le temps présent (composé avec Michel Colombier). Après de nombreux refus, Thierry Balasse tente une nouvelle fois sa chance avec une lettre qu'il conclue par une citation de Jaurès : "Le courage, c'est de savoir qui on est." Belle réponse de Pierre Henry, enfin convaincu : "Le courage, c'est de savoir avec qui on est. Je suis avec vous." Le projet s'avère passionnant ("la friction géniale entre la mélodie de Michel Colombier qui nous met dans une écoute confortable et les sons de Pierre Henry, qui justement nous en font sortir") mais ardu : Pierre Henry lui-même ne se souvenait plus comment il avait créé certains sons. Le résultat sera à écouter le 8 décembre à Radio France avec le Concert pour le temps présent, au cours duquel seront joués Envol, une composition de Thierry Balasse et enfin la Messe pour le temps présent avec sur scène basse, batterie, orgue, guitare et bien sûr, les cloches tubulaires. " Parce que mon grand kif, je l'avoue, ça a toujours été de jouer les cloches tubulaires" s'amuse le compositeur. Le 9 décembre, Thierry Balasse jouera deux pièces inédites de Pierre Henry, qui fut productif jusqu'aux dernières heures de sa vie, tandis que sera également présentée une pièce inédite de l'auteur pour piano seul composée en 1945. 

Le mot de la fin à Pierre Henry, cité par Catherine Verhelst : "Outre la voix, les sons représentent un décor. Pour la première fois, la musique concrète est employée comme une mise en scène. C'est l'opéra retrouvé."