Rencontre 02 mai 2019

Jean-François Sivadier : « Dans la musique il y a déjà une dramaturgie »

L'auteur et metteur en scène Jean-François Sivadier était l'invité de Mots en scène le 25 avril. A (re)voir intégralement en vidéo.

 

Jean-François Sivadier à la SACD pour Mots en scène.

 

C’est suite à une demande de Laurent Pelly (Le Cargo à Grenoble) que Jean-François Sivadier, alors comédien, s’est lancé dans l’écriture de son premier spectacle, Italienne avec orchestre, en 1996. Laurent Pelly souhaitait alors un spectacle court, avec peu de comédiens et qui se passerait hors de la scène. Fortement marqué par le spectacle Elvire Jouvet 40, Sivadier développe alors l’envie d’écrire quelque chose autour de la fabrication d’un spectacle, d’un opéra, de faire partager au public une répétition. « Alors que j’assistais à un spectacle de Robert Bouvier sur François d’Assise, tout d’un coup j’ai vu l’image d’un chef d’orchestre. J’ai passé tout le temps du spectacle à imaginer la future mise en scène, avec l’idée de mettre le public dans la fosse d’orchestre et de jouer autour.»  Le spectacle est joué 4 fois dans cette première version. Au final, il le sera 180 fois, au fil d’un bouche à oreille formidable et de nouvelles versions successives. « Le public nous a amenés à bouger, à revoir l’écriture. Le spectacle est devenu plus long, plus cher aussi  et il s’est amélioré ! C’est devenu un spectacle essentiel pour nous, où le public vit des choses très fortes. » En 1998, il revient à l'écriture avec Noli me tangere, une pièce explorant les rapports entre le religieux et le politique.

Interrogé par Olivier Barrot sur l’influence de Didier-Georges Gabily avec lequel il a travaillé, l’auteur répond : « Il nous a portés sur des ailes. C’est lui qui m’a appris à regarder un plateau, à le voir comme un tableau avec des lignes de force. Il m’a aussi appris une certaine façon de regarder l’autre, de voir sa puissance poétique. Il dirigeait les comédiens comme des danseurs ; nous avions l’impression d’être des écrivains de plateau avec la langue comme moteur de travail. » C’est aussi en travaillant avec Gabily que Sivadier explore un certain rapport à la musicalité : « On chantait beaucoup en parlant, la langue devenait une chose physique, organique. »

Le théâtre dans la musique

Quoiqu’il en soit, chez Jean-François Sivadier le rapport à la musique est très fort depuis toujours. Et l’envie de monter de l’opéra même antérieure à celle de monter du théâtre. « Je suis tombé un jour sur Jessye Norman en train de chanter lors d’ Un grand Echiquier. Je ne comprenais pas ce qu’elle disait mais j’ai été fasciné par le théâtre raconté dans la musique. Dans la musique il y a une dramaturgie dont le compositeur est le metteur en scène déjà éblouissant .»

Alors qu’il est l’assistant d’André Cellier Jean-François Sivadier est un jour « traumatisé » dans le bon sens du terme par la mise en scène de Lucrèce Borgia par Antoine Vitez. « Ma vie a changé en voyant cela : il n’y avait rien sur le plateau, pas d’accessoire, pas de décor, seulement des acteurs et on sentait pourtant un souffle incroyable. » Puis il découvre Henri IV mis en scène par Ariane Mnouchkine : « Les acteurs décollaient littéralement du sol ! Tout le temps… Ils sautaient, chantaient, criaient, ils étaient en apesanteur » se souvient-il en reconnaissant que ces impressions lui sont sûrement restées et ont, là encore, un rapport avec la musique.

De Claudel à Ibsen

Au fil des ans le metteur en scène monte de nombreuses pièces de théâtre (La Folle journée ou le mariage de Figaro, La Mort de Danton, Le Roi Lear, Partage de midi, la Dame de chez Maxim, Le Misanthrope, Dom Juan…)  et met en scène des opéras (Madame Butterfly, La Traviata, Don Giovanni…) Il écrit

Aujourd’hui, Jean-François Sivadier met en scène Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen (à l’Odéon du 15 mai au 30 juin après avoir été proposée à la Maison de la Culture de Grenoble). « J’ai toujours eu envie de monter Ibsen. Avec lui on a peur – dans le bon sens du terme – de là où il est capable de nous emmener, comme avec Bergman. On a peur d’y aller mais on sait que la façon dont il va nous emmener sera formidable. » Cette pièce c’est l’histoire d’une révolution possible, avec une sorte de lanceur d’alerte qui va s’improviser homme politique alors qu’il n’en a pas la conscience. Et comme il n’a pas de projet sa parole déraille… « Dans cette pièce tout le monde devient fou dans un cadre trop petit avec une langue trop pauvre » souligne Jean-François Sivadier ; une langue « banale mais en même temps génialement écrite, d’un trait, comme un conte fantastique et réaliste à la fois, porteuse d’une mécanique invraisemblable ». Une pièce à découvrir sur scène et qui, conclut le metteur en scène, se reçoit comme « une décharge électrique » aujourd’hui, à l’heure où nombre de dérèglements (climatique, politique, social etc.) ne semble guère trouver de réponse…