Cinéma 10 mar 2014

Disparition de Jean-Louis Bertuccelli

Bertrand Tavernier rend hommage au cinéaste dont il était l’ami.

Ne pas larmoyer. Jean-Louis aimait trop plaisanter, raffolant des jeux de mots et des calembours.

Ne pas s'apitoyer. Il aurait détesté cela.

Je l'ai connu dès son premier long métrage, REMPARTS D'ARGILE que j'avais adoré. Nous en avions été, Pierre Rissient et moi, les attachés de presse enthousiastes, nous battant pour qu'il soit sélectionné au Festival de Cannes, dans le cadre de la Semaine de la critique. Je l'ai revu plusieurs fois, toujours avec la même émotion, le même pincement au coeur, la même admiration pour l'exigence tant du propos (une grève de travailleurs maghrébins que soutient un magnifique personnage de femme et que l'armée veut réprimer) que de la forme : quasi absence de dialogue, plans longs et tenus avec de beaux mouvements d’appareil, donnant au temps toute son importance, sa réalité, admirable photographie d'Andreas Winding. S'inspirant d'un récit et d'une enquête de Jean Duvignaud, Jean-Louis avait réussi une œuvre forte et frémissante, profondément féministe, qui parlait, avec des décennies d'avance, de la place, du rôle de la femme dans la société musulmane, sujet fort peu à la mode. Le regard, la morale rappelaient des préoccupations du SEL DE LA TERRE sans le poids idéologique. Ce film, étrange hasard, je l'évoquais, je le vantais dès mon premier blog alors qu'il venait de sortir en DVD avec un court-métrage excellent de Jean-Louis, si ma mémoire ne me trahit pas et je l’avais encore loué des mois plus tard.

On était devenu amis. Je me souviens d’un été en Irlande, de la découverte des paysages filmés par Ford dans L’HOMME TRANQUILLE, de nos fous rires devant la gastronomie irlandaise d’alors, les sauces farineuses qui recouvraient tous les poissons, de nos balades à vélo.

Je l'avais suivi dans ses batailles pour faire aboutir des projets follement ambitieux esthétiquement qu'il abordait avec une incroyable ingénuité, un manque de calcul, de ruse, comme PAULINA 1880 d'après Pierre Jean Jouve (excusez du peu) avec une belle musique de Nicolas Nabokov, L'IMPRÉCATEUR d’après un roman à succès racontant l’implosion d’une multinationale dans des péripéties qui viraient au fantastique, à la fable et qu'il faudrait sans doute revoir en le confrontant aux récents séismes économiques que le film anticipait.

Mais j'avais été plus touché, plus ému, par des films plus intimistes comme le très beau ON S'EST TROMPÉ D'HISTOIRE D'AMOUR au propos fortement féministe, écrit avec et joué par Coline Serreau et INTERDIT AUX MOINS DE 13 ANS... avec Sandra Montaigu, œuvre modeste sur la banlieue, le malaise social et sentimental, tournée à toute vibure et qui annonçait la justesse âpre, le ton désenchanté des premiers films de Brisseau.

Malgré le succès de DOCTEUR FRANÇOISE GAILLAND, je le sentais un peu perdu face à l'évolution du cinéma. Désorienté. Se réfugiant à la télévision où il espérait trouver une liberté créatrice.

Et il y avait Julie, sa fille, que j’avais vue grandir avec la mienne. Elles étaient inséparables et je l'avais fait jouer dans DES ENFANTS GÂTÉS. Il en était si fier. Elle perpétuait ses rêves. Elle continuait REMPARTS D'ARGILE.

La dernière création que j'ai vue de lui c’est une exposition de ses photos si personnelles. On y retrouvait cette tendresse, cette douceur aigüe, parfois ironique ne se faisant pas trop d’illusion qui illumine de nombreuses scènes et fait le prix, la qualité unique de ses meilleurs films.

Filmographie principale 

  • Remparts d’Argile, Semaine de la Critique de Cannes 1970, Prix Jean Vigo, représentant la France aux Oscars en 1971. D’après le livre de Jean Duvignaud Chebika
  • Paulina 1880, avec Olga Karlatos, Samy Frey, Michel Bouquet et Maximilien Shell, 1972
  • On s’est trompé d’histoire d’amour, Prix Fémina, Bruxelles 1974
  • Docteur Françoise Gailland, César de la meilleure actrice pour Annie Girardot 1976, et avec François Perrier et Jean-Pierre Cassel
  • L’imprécateur, Prix Femina 1977, Festival Los Angeles, d’après le roman de René Victor Pilhes, avec Jean Yanne, Michel Piccoli, Jean-Pierre Mariel, Jean-Claude Brialy, Marlène Jobert...
  • Interdit aux moins de 13 ans, Prix Perspective Cannes 1982, Festival de New York, avec Sandra Montaigu et François Dupeyrat, écrit avec Sandra Montaigu
  • Stress, avec Guy Marchand, Carole Laure et André Dussolier
  • Aujourd’hui peut être, dernier film de Giuletta Masina, et avec Jean-Paul Muel, Georges Staquet et Eva Darlan, écrit avec Isabelle Mergault