Audiovisuel 07 avr 2015

Canal+ cherche séries à épisodes courts

Rodolphe Belmer, directeur général du groupe Canal+, et Manuel Alduy, directeur de Canal OTT, sont venus à la rencontre des auteurs de la SACD, le 26 mars, pour exposer leur stratégie en matière de programmes courts pour le mobile.

 

De la fiction courte, plutôt sérielle, feuilletonnante, haut de gamme, et qui s’adapte bien à la consommation sur mobile. Voilà ce que cherche Canal OTT pour son service de Svàd, Canalplay. Et c’est pour en parler directement avec les auteurs que Rodolphe Belmer et Manuel Alduy ont sollicité cette rencontre à la SACD. Rodolphe Belmer en connaît bien le principe puisqu’il venait pour la quatrième fois. Lui et Manuel Alduy se sont volontiers livrés au jeu des questions-réponses, dans un échange animé et joyeux, malgré la ligne - comedy free - de Digital Series.

Cibler la consommation mobile

En janvier 2014, le groupe Canal+ a créé Canal OTT (« over the top ») pour déployer son offre télévisuelle vers des modes de consommation mobiles ou individuels. Cette stratégie découle de plusieurs constats.
Premier constat : la consommation des programmes audiovisuels n’est plus limitée à la seule télévision mais a aussi migré vers l’internet, et au sein d’internet, des appareils fixes (TV, ordinateur) vers les appareils mobiles (tablettes, smartphones). Le smartphone est ainsi devenu le premier support de consommation audiovisuel pour les moins de 25 ans.

Deuxième constat : cette consommation est essentiellement portée par Youtube ou Dailymotion et les MCN (multi-channels networks, soit des fédérations de Youtubers comme Maker Studios, racheté par Disney pour 1 milliard de dollars). Les programmes peuvent y être, selon Alduy et Belmer, « très créatifs » mais restent « de faible valeur ajoutée narrative et de faible valeur de production ».

Troisième constat : plus l’écran est petit, plus les gens regardent des programmes courts. Ainsi, malgré toutes ses nouvelles fonctionnalités sur mobile, Canalplay reste essentiellement visionné sur l’écran du salon. 
L’idée de Canal OTT est donc de proposer une offre payante (via un abonnement mensuel) mais haut de gamme de programmes courts pour un usage sur mobile. Pour Manuel Alduy, l’enjeu est important. Il s’agit de créer des passerelles entre les nouvelles pratiques de consommation et la création audiovisuelle actuelle et à venir». Et de ne pas abandonner la consommation audiovisuelle à quelques blockbusters américains d’un côté et « aux programmes low cost issus du web : chats qui tombent, voitures qui se carambolent et tutoriels sponsorisés par des marques de maquillage » de l’autre.  

La cible privilégiée de cette prochaine offre est les 15-34 ans, «  tranche d’âge qui consomme le plus de vidéos et qui est en âge de payer », a souligné Rodolphe Belmer, ajoutant que « la grande nouveauté du mobile par rapport à l’internet fixe, est que les consommateurs ont l’habitude d’acheter des applications ».

Expérimentations passées

Le groupe Canal+ a d’ores et déjà mené plusieurs expérimentations en ce sens. D’abord sur YouTube pour tester des programmes courts, via une trentaine de « chaînes » alimentées pour moitié par des programmes de Canal+ déjà financés (essentiellement issus du clair) et pour une autre moitié par des productions originales pour le web. Canal a ainsi co-financé une dizaine de séries, dont Le Meufisme ou Les Kassos… Soit en production interne (via Studio Bagel par exemple) soit avec des producteurs extérieurs.

Pour Manuel Alduy, le résultat est mitigé. « YouTube est une excellente plateforme pour repérer des talents, car on peut choisir quasiment “in vivo” et non sur intention comme en télévision, mais ce n’est pas un endroit facile pour  tester les programmes, surtout venant de la télévision. On est paumés au milieu de millions de chaînes, et le modèle publicitaire est assez dégradé, avec une publicité qui se vend pas cher et qui est mal maitrisée ».
C’est donc sur son service de Svàd, Canalplay, que le groupe a mené sa deuxième série d’expérimentations, en proposant à ses abonnés (600 000 à fin décembre), un nouveau corner intitulé Digital Series : une dizaine de séries à épisodes très courts sont visibles sur Canalplay depuis octobre dernier. Il s’agit de séries déjà réalisées, anglo-saxonnes ou européennes (une seule est française), de genres différents.

L’expérience s’est avérée concluante. La série H+, produite par Bryan Singer a été, notamment, un des programmes les plus regardés sur Canalplay en octobre et novembre. Le groupe a, du coup, décidé de mener une politique exclusive avec des programmes plus identitaires à Canalplay. Canal OTT a ainsi déjà lancé 6 préachats de séries (3 anglo-saxonnes et 3 françaises, dont une de Studio Bagel), qui seront diffusées entre le mois prochain et l’automne. L’objectif est de préacheter 25 séries par an.

Digital Series en questions

La ligne éditoriale
La ligne de Digital Series est clairement du « drame », au sens américain du terme, soit des œuvres de genre (action, romance, thriller, SF, horreur…). Les histoires doivent être faciles à raconter pour faciliter le « marketing éditorial », et universelles pour voyager hors de France. 

Un interdit : la comédie, genre déjà bien exploité en gratuit sur Youtube. Un crève-cœur pour les auteurs, qui sont revenus plusieurs fois à la charge en proposant au choix « de l’humour subtil », « des pointes d’humour », voire même « une série drôle sans être de l’humour  »… Toutes ces tentatives ont bien fait rire les dirigeants de Canal+, mais ils se sont montrés inflexibles ! 
Rodolphe Belmer a invoqué trois raisons : « Premièrement, il est plus facile de vendre un abonnement sur une promesse de drame que sur une promesse d’humour. Deuxièmement, l’ambition sera plus grande si elle est internationale et l’humour voyage mal. Troisièmement, la création d’un nouveau marché nécessite une différenciation : les gens ne s’abonneront pas pour voir du Youtube en un peu mieux ». 

Les documentaires, les clips musicaux, les programmes arty sont également exclus, dans un premier temps. Par ailleurs, Canal+ ne prendra pas des programmes déjà réalisés. Une politique d’acquisition sera toutefois possible à l’avenir si l’expérience est concluante.

Le format
Canal OTT cherche avant tout des séries, pour épouser au mieux le temps libre de ses abonnés (ce qui permet de regarder plus ou moins d’épisodes selon le temps qu’on a). Les séries doivent être feuilletonnantes, les séries à épisodes bouclés étant moins à même de fidéliser le public. Canal pourra toutefois préacheter quelques courts unitaires cinématographiques « pour donner une épaisseur artistique à l’offre ». 

En termes de durée d’épisode, Manuel Alduy a évoqué une fourchette de 4 à 10’ : « En dessous de 4’, c’est très court, et on a un peu l’impression de regarder un générique. Au dessus de 10’, on n’est plus adapté à la consommation sur mobile ». En revanche, il y a une flexibilité sur la durée des épisodes, au sein de la même série, puisqu’il n’y a pas de contrainte de grille TV.
Sur le nombre d’épisodes, Manuel Alduy n’a pas donné de directive, mais selon lui, il est difficile d’aller au-delà de 10 épisodes. Il a identifié « deux challenges : créer un attachement aux personnages sur un format court, et avoir une sorte de cliffhanger à la fin de chaque épisode ». A titre d’exemple, H+ compte 48 épisodes et les autres séries entre 4 et 12. 

La cible
La tranche d’âge visée est dans un premier temps les 15-34 ans, puis les 35-50 ans. « Le smartphone est devenu la porte d’entrée à l’internet, pour tous. Cela commence par les jeunes, mais c’est un phénomène massif », a souligné Rodolphe Belmer. Il a précisé viser « une audience moins arty que le public du court métrage, plutôt ceux qui cherchent un divertissement pour leur temps libre ». 

Le budget
Canal OTT ne veut pas entrer dans une logique de barème à la minute, mais compte mettre des moyens importants. « On ne veut pas acheter des minutes mais des programmes qui claquent », a dit Rodolphe Belmer, qui a insisté sur le caractère haut de gamme, en termes de narration et de production value. Ainsi, le groupe pourra investir l’équivalent de ce qu’elle met en création originale (environ 1M€ pour un 52’). 

Le processus de sélection
Les projets peuvent être proposés par des producteurs ou par des auteurs, le groupe envisageant de créer une structure de production pour accompagner des projets portés par des auteurs. Canal OTT pourra aussi intervenir en développement.
Il n’y a pas de consigne stricte sur la forme du dossier, mais Manuel Alduy dit recevoir en général, une bible, un synopsis et un épisode dialogué. Le dossier peut être accompagné d’une vidéo «  pour illustrer une ambiance ou une ambition artistique » ou « pour faire découvrir un acteur inconnu », mais ce n’est pas obligatoire. « On préfère avoir des scripts que des pilotes mal foutus », a souligné Rodolphe Belmer.
L’équipe, en train de se constituer, comprendra une dizaine de personnes. Il n’y a pas de procédure installée, mais Manuel Alduy pense que le délai de réponse sera de 1 à 2 mois, les refus pouvant aller plus vite.

Les dossiers sont à envoyer à : mb_CANALOTT@canal-plus.com

Pascal Rogard a proposé une nouvelle rencontre à l’automne pour faire le point sur ce qui a été lancé, et montrer les premières séries.

Béatrice de Mondenard