Cinéma 02 avr 2014

Serge Toubiana : « Il faut redonner de la force au récit. »

Ancien critique de cinéma, le directeur de la Cinémathèque française, nommé depuis janvier président de l’Avance sur recettes, est venu échanger avec les auteurs de la SACD, le 25 mars dernier.

Pascal Rogard l’a rappelé en préambule : Serge Toubiana a écrit des livres, réalisé un documentaire, édité des DVD. Pour autant, le président de la Cinémathèque française se présente non pas comme un artiste ou un créateur, mais comme « un intermédiaire entre l’écran et le spectateur ». Il ne se voit pas non plus comme « un homme de patrimoine », et c’est un enchaînement d’opportunités qui l’ont conduit, après son départ des Cahiers du cinéma, à la Cinémathèque française : la proposition de Marin Karmitz (MK2) d’orchestrer et de promouvoir l’œuvre de François Truffaut, puis celle du ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon de rédiger un rapport sur le patrimoine en 2002, et enfin celle, en 2003,de diriger la Cinémathèque, qui déménage dans un nouveau lieu. Une proposition à laquelle il ne s’attendait pas du tout, mais qu’il a prise « à bras le corps ». En dix ans, la fréquentation de la Cinémathèque a ainsi été multipliée par cinq.

Le choc du retour au présent

Face à la proposition de Frédérique Bredin de présider la commission de l’Avance sur recettes, Serge Toubiana a été plus hésitant… Vice-président du premier collège en 1989 et 1990, il sait à quel point c’est une fonction exigeante et chronophage. S’il a dit oui, c’est parce que « le cinéma présent [lui] manque », les films comme les débats qui agitent la profession.

« Je savais que j’aurai un choc assez violent, avec le retour aux commissions, à la lecture à haute dose. Cela allait m’obliger à me remettre dans le présent, pari excitant et vertigineux, qui suppose de reconstituer tous ses repères. » Serge Toubiana dit avoir été notamment frappé par « la jeunesse, la variété, l’hétérogénéité » des membres de l’Avance sur recettes, et par « le nombre incroyable de sociétés de production récentes, professionnelles et compétentes… souvent très féminisées. » L’implication des producteurs est très différente de ce qu’il a connu dans le passé : « Même à l’échelle d’une production artisanale, il y a cette conception positive, de sérieux, d’accompagnement des auteurs. Pour moi c’est un gage que le film ne sera jamais orphelin. Il n’y a rien de pire que d’arriver mort-né sur le marché. » S’il est théoriquement possible pour un auteur de présenter un projet sans producteur, cela est d’ailleurs devenu rarissime.

Une nouveauté : l’audition des candidats

C’est donc « un cinéma novateur, audacieux et capable en même temps de toucher un public » qu’entend soutenir la commission. Serge Toubiana a en effet insisté sur « ce souci, que le film arrive fort, solide, avant l’épreuve de la salle. »

Le président de l’Avance a souligné son attachement à ce que tous les projets soient discutés et que tous les membres puissent donner leur avis : « C’est vraiment une instance collective. On essaye d’être au plus près des subjectivités. Nous sommes neuf (par collège), j’ai une voix et une seule. »

Nouveauté par rapport à sa précédente expérience : l’audition des candidats, auteurs et producteurs, la veille des commissions plénières. « C’est particulièrement intéressant pour les premiers films. On perçoit la force du lien, la complicité entre l’auteur et le producteur. Cela facilite le jugement, ou le confirme », a-t-il souligné, avant de confier avoir été ainsi convaincu, récemment, par la fougue d’une jeune réalisatrice, alors qu’il n’était pas totalement convaincu par le scénario.

« Pour les auteurs confirmés, je n’aurais pas osé le demander, mais il semble que personne ne s’en plaint. Resnais et Godard sont venus présenter leurs projets, ou plus récemment Jean-Paul Rappeneau, et n’ont pas rechigné à le faire », a complété Serge Toubiana, quelque peu circonspect.

Trop de films ?

Avant même qu’on la lui pose, Serge Toubiana a évacué la question de la légitimité de l’Avance sur recettes. C’est selon lui « une évidence, un acquis formidable qui participe du fonctionnement vertueux du cinéma en France ». Il s’est ainsi félicité de la décision de Frédérique Bredin de porter la dotation annuelle de 28 à 34 M€, une augmentation qui permettra de mieux aider les films, et non pas d’en aider plus.

«  Y a-t-il trop de films? » C’est la première question que lui a posée Pascal Rogard, en écho à ses propos dans Libération, en février dernier. « Je pense surtout qu’il faut faire attention à ce que les films se fassent dans les meilleures conditions possibles. La phase amont est aujourd’hui sous-estimée et sous financée. Il faut redonner de la force au récit, au projet narratif qui est à l’origine même des films », a déclaré Serge Toubiana.

Il a beaucoup été question de cet entretien à Libération, tout au long de cette rencontre. Quid notamment de cette « vibration du monde », qui selon lui fait défaut au cinéma français ? «La formule ne veut pas dire grand-chose, mais je trouve qu’une grande partie du cinéma français se regarde », a-t-il répondu sans détours.

Autre mot relevé dans cet entretien : le caractère « injuste » de l’Avance. Sur ce point, Serge Toubiana a surtout évoqué le principe de sélectivité de la commission. Chaque année, environ 700 projets postulent pour une soixantaine d’élus. En 2013 la Commission a ainsi voté 28 promesses d’avances au premier collège (premiers films), 32 au deuxième collège (2e films et plus), ainsi que 24 avances après réalisation (3e collège). « Un concours plus dur que l’ENA», selon Pascal Rogard.

Cinéphilie : l’exception française

Selon Serge Toubiana, la profusion de projets est le corollaire de l’exceptionnelle cinéphilie française. « On a voulu ça, le cinéma est partout. Nous avons des salles, des festivals, des expositions, des écoles qui forment cinéastes et techniciens… C’est unique au monde. Aujourd’hui, les jeunes veulent soit écrire, soit faire de la musique, soit faire du cinéma. » Cette cinéphilie, il la ressent très fortement lorsqu’il voyage, mais aussi lorsqu’il reçoit des cinéastes étrangers à la Cinémathèque. Lorsque Steven Spielberg est venu pour une master¬-class, en janvier 2012, il a confié ne pas avoir reçu un tel accueil public depuis la projection de E.T. en clôture du festival de Cannes en 1982. « Il n’y a pas l’équivalent aux Etats-Unis. Il n’y a pas cette ferveur cinéphile, avec un public qui pose des questions sur l’art du cinéma, et non sur le box office ou les Oscars. »

« Après Steven Spielberg et Tim Burton, qui sera le prochain ? » a demandé le réalisateur Sylvain Rigollot, qui a assisté avec bonheur aux deux master-class. Rien de fixé, selon Serge Toubiana, qui en a profité pour préciser que les deux cinéastes étaient venus grâce au président de la Cinémathèque, Costa-Gavras, qui « jouit d’une réputation incroyable aux Etats-Unis depuis Z ». La Cinémathèque n’a toutefois pas les moyens d’inviter des cinéastes américains ; il faut donc profiter de leur passage à Paris pour la promotion de leur film, et s’y prendre très à l’avance (trois ans pour Steven Spielberg).

La cinémathèque et les œuvres du domaine public

Pascal Rogard a posé la question, très actuelle, de l’exposition des œuvres du domaine public, qui va concerner un nombre grandissant de cinéastes. Pour Serge Toubiana, c’est un sujet complexe, et il a affirmé son souhait de travailler en partenariat avec les éditeurs et les distributeurs, d’autant que Gaumont et Pathé refusent le domaine public. Si Laurent Heynemann a dit comprendre cette position, compte tenu des sommes engagées pour restaurer les films, Pascal Rogard a rappelé la loi et suggéré la création d’une redevance sur l’exploitation des œuvres pour financer la protection de ce patrimoine, qui est effectivement couteuse.

Questions concrètes sur l’Avance

L’Avance sur recettes a suscité beaucoup de questions, notamment sur le fonctionnement et les procédures, mais personne n’a parlé de son projet personnel - Pascal Rogard en avait donné l’interdiction absolue en préambule !

A chaque fois, Serge Toubiana a rappelé les règles et expliqué leur fondement. Sur les projets en langue étrangère, Serge Toubiana a précisé qu’ils relevaient d’une autre commission (aide aux cinémas du monde). Tout comme les aides à l’écriture. Il a toutefois regretté le manque de concertation entre la commission de soutien au scénario et celle de l’Avance sur recettes, ce qui revient à ne pas capitaliser un travail d’analyse sur les scénarios, élément qu’il a déjà signalé à Frédérique Bredin.

Concernant la mise en compétition de réalisateurs d’expérience, de genre, et de notoriété très différentes, il a affirmé son attachement à ce que les deuxièmes et troisièmes films soient bien pris en compte au sein du deuxième collège, et à ce que les documentaires soutenus puissent réellement « franchir le cap de la salle ».

Sur la première étape de sélection (comités de lecture), Serge Toubiana a précisé que leur composition n’était effectivement pas publique, mais qu’ils se tenaient toujours en présence du président de l’Avance, du vice-président du collège concerné ainsi que d’un ou plusieurs membres.

Face aux nombreuses interrogations sur la compétence des lecteurs, la pertinence des choix ou d’éventuelles pressions des uns et des autres, Serge Toubiana a cherché à rassurer les auteurs : « tous les projets sont lus, discutés, évalués, et même s’il y a des désaccords, on arrive le plus souvent à un consensus. »

Béatrice de Mondenard