Musique 16 avr 2018

Philippe Fénelon : "La modernité ne se décrète pas"

Le compositeur était l'invité du deuxième numéro de La Musique comme Théâtre pour évoquer l'écriture d'opéras en compagnie d'anciens collaborateurs.

La Musique comme théâtre est, sur le modèle de Mots en scène pour le théâtre, le nouveau rendez-vous de la SACD consacré à l'écriture musicale. Après un premier numéro autour de Pierre Henry, le deuxième était consacré à Philippe Fénelon au mois d'avril. Accompagné sur scène de deux anciens collaborateurs, l'éclairagiste Rémi Nicolas et le metteur en scène Marc Paquien, et de la musicologue Stéphane Goldet, le compositeur a évoqué longuement son rapport à l'opéra lors de cette rencontre animée par la journaliste de France Musique Elsa Boublil et la présidente de la commission Musique de la SACD, Catherine Verhelst. La discussion était précédée de la diffusion de larges extraits du documentaire Philippe Fénelon, le chant de Salammbô réalisé par Xavier Fisher et François Roussillon (France 2, Opéra de Paris, Roussillon et Associés).

Philippe Fénelon à la SACD pour La Musique comme Théâtre le 11 avril 2018.

Rémi Nicolas, Stéphane Goldet, Elsa Boublil, Philippe Fénelon, Marc Paquien, Catherine Verhelst

Etude de cas passionnante que ce Salammbô, opéra en 3 actes composé par Philippe Fénelon d'après Gustave Flaubert avec un livret de Jean-Yves Masson, créé en 1998 à l'Opéra de Paris, sous la direction de Gary Bertini et dans une mise en scène de Francesca Zambello. Dans le documentaire, on découvre un Philippe Fénelon très investi, présent aux répétitions, prompt à la discussion avec le metteur en scène, le chef de choeur ou encore le librettiste. L'opéra en effet est une oeuvre éminemment collaborative qui met en scène de nombreux corps de métier et qui ne se révèle totalement qu'à la toute fin d'un long processus à l'aveugle. Marc Paquien qui a travaillé avec le compositeur en 2014 sur l'opéra Flaubert et Voltaire confirme : "Quand on monte un opéra, on ne fait qu'aller vers ce qu'on ne sait pas. Personne ne sait ce que cela donnera à l'arrivée." Souvent les répétitions sont menées avec un simple accompagnement au piano, bien éloigné de ce que donnera l'orchestration. Philippe Fénelon sait les problèmes que cela peut poser : "Le temps des répétitions au piano est un temps sec, sans couleur. Ce n'est qu'une succession de rythmes qui ne restitue pas la richesse orchestrale. Cette dernière, seule, amène les couleurs." 

"Les mains dans le cambouis"

Rémi Nicolas, qui a travaillé sur les lumières du ballet Yamm composé par Philippe Fénelon pour l'Opéra de Paris en 2000 met lui aussi l'accent sur les tâtonnements inhérents à ce type de projets : "On fabrique un objet inconnu, que personne ne maîtrise. Tout le monde a les mains dans le cambouis et fait évoluer l'oeuvre. On enlève beaucoup et on rajoute des choses aussi." De l'assemblage des savoir-faire et visions artistiques peut découler des oeuvres-sommes et le sujet des coupes nécessaires pour que les représentations demeurent d'une durée raisonnable est forcément sensible. Philippe Fénelon : "Le temps devient de plus en plus court quand le travail de tout le monde converge." Le livret fait souvent le premier les frais du principe de réalité lors de la création d'un opéra : "Le librettiste ne sait pas ce que vous voulez faire comme musique et une réorganisation des mots est toujours nécessaire, analyse Philippe Fénelon. Seul le compositeur peut dire si c'est chantable ou non." Philippe Fénelon a d'ailleurs parfois écrit lui-même le livret de ses opéras. Et comme le note Stéphane Goldet, avec un souci constant et remarquable de conserver un texte toujours parfaitement intelligible. "A l'opéra, si vous ne comprenez pas le texte, vous vous embêtez", confirme Philippe Fénelon. 

Côté mise en scène, Marc Paquien n'a que des éloges pour son compositeur et la manière dont ils ont travaillé ensemble sur Flaubert et Voltaire : "Philippe adore tout de la scène, il s'intéresse à chaque aspect, y compris les décors... Il faisait de la mise en scène avec moi tout en me laissant libre. En plus je ne lis pas la musique, sa présence à mes côtés était précieuse." Mais tous les metteurs en scène ne sont pas demandeurs de conseils de la part du compositeur, encore moins de leur présence au quotidien pendant les répétitions. Philippe Fénelon a lui-même connu des expériences moins harmonieuses, par exemple sur son opéra Faust créé au Théâtre du Capitole à Toulouse en 2007 : "Je n'ai rencontré le metteur en scène Pet Halmen que 5 minutes au début du projet puis il ne m'a plus jamais laissé la parole. J'assistais aux répétitions mais il ne me parlait pas." 

Ecriture longue et épuisante

Composer avec les personnalités, les ambitions, les contraintes de chaque intervenant artistique sans oublier les impératifs économiques des commanditaires, peut donner à la création d'un opéra un côté titanesque, herculéen, et ce, pour un nombre de représentations à l'arrivée paradoxalement très limité. Salammbô a été joué tout au plus quinze fois à l'Opéra de Paris. L'explication en est simple pour Philippe Fénelon : "Les théâtres veulent toujours de la nouveauté car ils ont les budgets pour de la création, pas pour de la reprise." Les aides à la reprise sont rares, même si la SACD justement en propose une via le Fonds de Création Lyrique, comme l'a rappelé Catherine Verhelst. Philippe Fénelon lui-même regrette que les décors de Salammbô aient été si vite détruits. Et puis se pose aussi la question de la capacité du compositeur à créer encore et toujours de nouvelles oeuvres : "On me demande toujours des choses nouvelles. J'ai déjà écrit huit opéras...", résume Philippe Fénelon. D'autant que chacun d'entre eux réclame des années de travail. "L'écriture de la musique d'un opéra est longue et fastidieuse. C'est un exercice épuisant. La musique a le défaut terrible d'aller très vite : 3 secondes et demie de musique transposées à tout l'orchestre, cela peut parfois vous prendre des jours et des jours à écrire."

Ce qui est certain c'est qu'en composant ses opéras, Philippe Fénelon ne cherche jamais à "faire moderne" : "La modernité, ça ne se décrète pas !, s'enflamme-t-il. S'y essayer, c'est à coup sûr se retrouver en déphase avec la réalité. Quelqu'un fera toujours quelque chose de plus moderne que vous deux minutes plus tard !" Auteur majeur de la création musicale de ces cinquante dernières années, récompensé à de nombreuses reprises notamment par le Prix Musique de la SACD en 2005, Philippe Fénelon n'a plus à démontrer la sienne. Et pour aller plus loin, l'homme s'est lui-même raconté dans une autobiographie/mémoires publiée chez Riveneuve Editions, Déchiffrages : Une vie en musiques. Lecture recommandée.