Théâtre 17 avr 2018

Francis Veber : "On ne sait pas le succès qu'aura ce qu'on écrit"

Le cinéaste et auteur de théâtre était l'invité d'Olivier Barrot à la SACD en mars dernier pour un numéro de Mots en scène consacré à son oeuvre dramatique.

Trente-et-un films et six pièces à son actif et pourtant, Francis Veber assure n'avoir jamais réussi à déterminer ce qui fait qu'une pièce ou un scénario deviendra un succès. L'homme a connu sa part de triomphes, sur les planches ou dans les salles, de L'Emmerdeur au Dîner de Cons en passant par La Chèvre. Mais, a-t-il souvent répété au cours du Mots en scène que la SACD lui consacrait le 20 mars dernier, le destin d'un texte demeure impossible à prédire : "On ne me reconnaît pas souvent dans la rue mais quand c'est le cas, c'est toujours pour me parler avec reconnaissance de La Chèvre ou du Dîner de Cons, en particulier le dialogue sur Just Leblanc. Et c'est toujours une surprise, cette caresse dans le dos. Quand on écrit, on ne peut pas se douter que ça se passera comme ça." 

Peu interrogé par le passé sur son oeuvre dramatique, lui qu'on interviewe plus volontiers pour sa riche carrière cinématographique, Francis Veber ne s'est pas fait prier pour s'épancher en compagnie du journaliste Olivier Barrot sur sa carrière d'auteur de théâtre, entamée en 1968 avec L'Enlèvement. A l'époque, il vient de quitter RTL et cherche à écrire. Il se tourne vers le théâtre où, lui semble-t-il, les jeunes auteurs étaient rares et les opportunités prometteuses. Après des débuts poussifs à l'Edouard VII, une critique élogieuse de l'influent Jean-Jacques Gautier sauve l'entreprise du naufrage et transforme même la pièce en succès.

Duo mal assorti

Mais c'est vraiment le texte suivant, Le Contrat qui mettra Francis Veber sur orbite. La pièce scelle le style de l'auteur en inaugurant l'association contre-nature typique qu'il mettra souvent en scène entre deux hommes pas faits pour se rencontrer. "Le duo mal assorti, c'est un vieux truc, se défend-il. Prenez Laurel et Hardy, je n'ai rien inventé..." Dans Le Contrat, se retrouvent à faire équipe un tueur à gages et un pauvre type suicidaire, premier d'une longue lignée de François Pignon, l'auguste malchanceux passé à la postérité sous les traits de multiples comédiens (Pierre Richard, Daniel Auteuil, Jacques Villeret...). Le Contrat aura un retentissement considérable en devenant au cinéma L'Emmerdeur réalisé par Edouard Molinaro avec Lino Ventura et Jacques Brel et sera adapté à Hollywood par Billy Wilder sous le titre Buddy Buddy. Remontée en 2005 sous l'appelation L'Emmerdeur, la pièce a valu un nouveau triomphe à son auteur, qui l'a mise en scène lui-même avec Patrick Timsit et Richard Berry. Et pas plus tard qu'en 2016, Kenneth Branagh la reprenait à Londres dans une mise en scène de Sean Foley jugée éblouissante par Francis Veber. 

Aspiré par le cinéma, Francis Veber se trouve à ne plus écrire du tout pour le théâtre. Le succès des Grand Blond qu'il scénarise, de La Cage aux Folles qu'il adapte pour le cinéma, de ses propres films (Le Jouet, La Chèvre, Les Compères...) lui ouvre les portes d'Hollywood. Il part s'installer dans les années 80 à Los Angeles où il exerce comme script doctor pour le compte des studios et ce n'est qu'après un échec personnel sur son film Sur la Corde raide qu'il tourne en anglais avec Matthew Broderick en 1992, qu'il reviendra au théâtre après 24 ans d'absence. "J'avais écrit cette pièce que j'ai lue à ma femme. Elle est mon premier public et il faut savoir qu'elle ne rit jamais à ce que je lui lis. Il faut être un peu maso pour un auteur comique... Là, elle riait. J'ai compris que je tenais quelque chose." La pièce, Le Dîner de cons, et plus tard, le film, auront le retentissement que l'on sait. Un succès de plus pour Francis Veber qui pas plus que les autres ne l'a débarrassé de ses incertitudes d'auteur : "C'est un métier atroce car il faut sans cesse discuter avec soi-même. Il faut être à la fois l'imagination et sa propre censure, le mouton et son propre chien de berger qui vient mordre le mollet." 

"Sans être méchant, on n'est pas drôle"

Et ne le lancez pas sur certains réalisateurs avec qui il a travaillé... "La plupart ne touchent pas leur bille en scénario." Et de tailler un costard à bon nombre d'anciens collaborateurs, s'étonnant même de dire ici ou là un mot gentil pour l'un ou l'autre. "Je dis beaucoup de choses méchantes", fait-il d'abord mine de s'excuser. Avant d'ajouter, sourire en coin, pour le plaisir de son public qui en redemande : "Mais sans être méchant, on n'est pas drôle. Plutôt que de détester tout le monde, je devrais peut-être détester les gens les uns après les autres." Francis Veber est un showman. Il sait combien son public est friand de bons mots et de vacheries. Surtout il est un puits sans fond d'anecdotes. Les origines du vrai dîner de cons organisé par des animateurs télé chez Castel, un coup de fil mémorable pour convaincre un Villeret au fond de son lit de venir tenir sa place sur scène ou encore sa visite au Trésor public où on lui parla du contrôleur fiscal joué par Daniel Prévost dans Le Dîner de Cons... Un délice ! 

Francis Veber, qui pas plus tard qu'en septembre dernier mettait en scène son texte inédit Un animal de compagnie, créé au Théâtre des Nouveautés, n'en a pas fini avec le théâtre. Il est à l'oeuvre sur une nouvelle pièce et sur un film. L'auteur a déjà accouché d'un traitement d'une trentaine de pages. Mais avec l'âge, c'est l'étape d'après qui lui pèse avoue-t-il : "Maintenant, il faut écrire... Si l'intelligence se compose de la mémoire, de l'imagination et de l'attention, ce qui s'abîme en vieillissant, c'est l'attention. Passer du temps à rédiger une scène, j'appréhende." Mais suggérez-lui de s'associer, alors, à un partenaire d'écriture et l'homme lâche un dernier scud : "Je n'ai jamais trouvé de co-auteur. J'ai essayé mais ou bien le type va plus vite que vous et il vous brûle, ou bien il va moins vite et c'est un spectateur à qui vous donnez la moitié de vos droits." Impitoyable et précieux Francis Veber.