Avignon 2018 26 juil 2018

Du texte à la scène, la restitution du marathon d'écriture du OFF

A l'occasion de la journée des auteurs du OFF le 15 juillet, trois auteurs se sont prêtés au jeu d'un marathon d'écriture. Nous publions leurs textes, improvisés en 45 minutes seulement.

Le 15 juillet dernier, la SACD s'associait à la journée des auteurs du OFF et proposait en collaboration avec  le festival OFF d’Avignon et Artcena un marathon d'écriture. Les auteurs Yan Allégret, Hakim Bah et Catherine Verlaguet étaient invités à improviser autour du thème imposé "Et la joie dans tout ça ?" avec pour contrainte de rédiger leur texte en 40 minutes avant restitution en 10 minutes sur scène. 

Voici le fruit de leur travail à chacun, reproduit avec leur aimable autorisation. 

Le texte de Yan Allégret

Publié par l'auteur sur son compte Facebook :

 

Le texte de Catherine Verlaguet

Le sourire écorché

Il en faut de la joie

dans le monde, il en faut

de la foi pour

panser la colère.

 

Léontine s’est épuisée trop longtemps à sourire

jusqu’à ce que les muscles de son visage soient tellement liftés que c’était à se demander, à force, si elle souriait

ou si elle pleurait –

sourire grimace, face au monde : Léontine est seule depuis dix ans

à se relever.

 

Léontine est sèche comme

une brindille de bois ;

solide comme le roseau qui a plié

sans rompre :

Léontine n’a pas rompu –

elle a fuit,

sans mots dire.

Léontine, comme tout le monde, est tombée tant de fois,

c’est toujours relevée –

la dernière fois a été la plus douloureuses mais

Léontine est là, dix ans après,

dans le métro.

 

Dix ans après, dans le métro, Léontine sent,

là bas -

comme on sent, parfois –

un regard la happer.

Léontine voit, mais ne regarde pas.

Ce fil tendu des corps qui se retrouvent

là où ils ne s’y attendaient pas,

là où ce n’était pas prévu,

là où ils ne sont

pas prêts, pas bienvenus –

elle n’est pas prête, non, pour ce fil là, tendu –

elle a déjà donné.

 

Car ce regard, là bas, est celui –

et elle n’a pas besoin de regarder pour le savoir –

ce regard là est bien

celui qui l’a faite tomber, gouffre, au fond,

celui qui

a pétri son sourire en grimace, il y a dix ans, déjà.

La rage grondait alors en larmes sourdes –

rage étroite, étriquée,

impuissance hystérique hurlée silencieusement –

 

Léontine regarde à présent,

de son corps noué, vestige…

 

L’homme regarde Léontine ne pas s’avancer ;

ne pas dire : « bonjour, comment tu vas, qu’est ce que tu deviens ? »

L’homme ne sait pas, ne comprend pas, ne veut pas, peut pas

comprendre,

n’a aucune idée de l’impact que ses mots couteaux ont eu

sur elle –

lacérée, Léontine.

Crash-ée, Léontine.

Il n’a pourtant jamais tombée la main sur elle !

 

Et soudain,

le corps dénoué, vertige,

dix ans à se relever -

Léontine sourit –

sourit à l’homme –

lui fait même un adieu de la main -

c’est terminé.

 

Léontine sort du métro et laisse derrière elle

le poids,

la peur,

le gouffre, car

il y a dix ans

elle a sauté

et elle n’est pas tombée.

Le gouffre n’a parfois de hauteur que le vertige qu’on lui donne.

Alors, dans les rues, tout en marchant,

Léontine sourit.

 

Le texte d'Hakim Bah

D'abord ça a été une image

et puis deux

et puis trois

et puis

une succession

qui te pousse

fait que

superposition qui

décidément

tu ne veux plus penser

tu ne veux plus te souvenir

superposition

et si tout s'arrêtait

tu hésites

et puis le bruit

tu te lances

mais tu t'arrêtes

superposition

le basculement

les choses rêvées

les choses espérées

qu'as-tu fais

tu réalises que rien n'est plus possible

ne sera

« tu es trop grand pour ton âge »

tu t'assois

« tu fais trop grand pour ton âge »

tu te lèves

le bruit

« ton âge »

tu t'approches de la fenêtre

« ton âge »

tu regardes la distance qui te sépare du sol

« ça fait pas ton âge »

tu penses au bruit de ta tête contre le béton

non tu ne penses pas

le fracas

tu ne veux pas penser

vibration

« nouvelle notification »

tu ne regardes pas

quelqu'un a liké ta photo

tu veux sourire mais

« ton âge »

le bruit

tu sais qu'ils vont monter les escaliers

mais ça ne te fait pas peur

tu sais qu'ils vont sonner

tu n'ouvriras pas

tu sais qu'ils vont défoncer la porte

et que

et que

et que

tu ne seras pas là

tu ne veux pas attendre ce moment

tu préfères te lancer dans le vide