Rencontre Pro 18 avr 2019

Anne Viau : « Je suis très attachée à la liberté de parole entre la chaîne et les auteurs »

Ancienne scénariste, Anne Viau a été nommée directrice artistique de la fiction à TF1 sept ans après son arrivée à la chaîne comme conseillère fiction. Le 21 mars dernier, elle est venue avec son équipe rencontrer les adhérents de la SACD.

A la fiction de TF1, Anne Viau a succédé à Marie Guillaumond, qui avait déjà participé à deux rencontres avec les auteurs à la SACD. Le dialogue était donc déjà bien entamé. « Je me sens à la maison, a commenté l’ancienne scénariste. Je suis très attachée à mon métier d’origine et à la liberté de parole entre la chaîne et les auteurs, sans filtre. »

La concurrence des plateformes : une saine émulation

Aussitôt interpellée sur la concurrence des plateformes en général et de Netflix en particulier, la jeune directrice s’est voulue rassurante : « C’est la suite logique de l’âge d’or des séries qui a commencé voici dix ans, quand il n’y avait pas encore de plateformes, avec l’arrivée de nouveaux programmes de grande qualité venus d’Israël ou de Scandinavie. Aujourd’hui, la concurrence nous oblige à nous renouveler de nouveau et à prendre des risques. Qui sont payants : Jacqueline Sauvage a rassemblé 8,6 millions de téléspectateurs en linéaire. C’est une saine concurrence. »

Stéphane Eveillard, directeur des acquisitions des fictions françaises qui accompagnait Anne Viau ce soir-là, a précisé que TF1 pouvait devenir un partenaire occasionnel de Netflix s’il y a un juste partage des risques et de la valeur : « Nous pouvons cofinancer des fictions avec les plateformes ou rechercher des ventes internationales auprès de partenaires traditionnels. Mais au-delà de l’émulation de la concurrence, notre stratégie consiste surtout à ancrer nos fictions dans le local. » Aussitôt confirmé par Anne Viau : « Netflix fait du « glocal », un mélange de global et de local, alors que notre fiction se doit d’être ancrée dans la société française. »

La concurrence touche surtout le public jeune pour qui les chaines de télévision ne représentent qu’un troisième choix après Netflix et Youtube. « TF1 est encore tout à fait capable de séduire les jeunes, expliquait Anne Viau : Les Bracelets rouges a fait plus de 50% d’audience sur les 15/24 ans. Bien sûr, les modes de consommation évoluent : ce programme a été vu en replay par 1,1 million de téléspectateurs pour le premier épisode et 1,3 million pour le deuxième. Le jour où j’ai brûlé mon coeur, un unitaire sur le harcèlement scolaire, a aussi attiré le jeune public, 7 millions de téléspectateurs dont 51% sur les 15/24 » Anne Viau s’est déclarée fan de séries comme Sex Education (Netflix) ou Vingt-Cinq (OCS) et a dévoilé qu’un projet sur la prostitution adolescente était en développement à la chaîne.

Une relation directe avec les scénaristes

Un auteur dans le public a fait remarquer que « si TF1 évolue en matière de fiction, les producteurs eux, ne changent pas. Notre scénario est réécrit quinze fois avant que vous ne nous lisiez. Il y a trop de filtres entre la chaîne et les auteurs. Pourquoi ne pas s’inspirer des exemples de certaines télévisions étrangères qui acceptent que les auteurs pitchent en direct leurs projets ? » Anne Viau se souvient d’avoir souffert de ces réécritures sans fin lorsqu’elle était scénariste : « Je suis convaincue comme vous qu’il y a trop de filtres. Je suis venue aujourd’hui avec mes collaborateurs, Caroline Maret, Jonathan Brecher et Fabienne Arbelot car nous voulons cultiver notre relation avec les scénaristes. Nous réfléchissons d’ailleurs des solutions pour développer cette relation. » A Pascal Rogard faisant remarquer que certaines plateformes traitent directement avec les auteurs, Stéphane Eveillard a répondu que la réglementation française ne le permettait pas : « Travailler en direct avec les scénaristes impliquerait pour TF1 une position de producteur exécutif. Cela ne nous est pas permis, à l’inverse des plateformes. »

Heureusement, les « bons » producteurs sont nombreux. Anne Viau a ainsi cité les noms de Véronique Marchat, Stéphane Marsil, Iris Bucher, Anthony Lancret et Pierre Laugier. « La clé de la réussite d’un programme réside dans le trio auteur/producteur/réalisateur. Par exemple, Le Bazar de la charité qui est en tournage actuellement : produite par Quad Télévision, écrite par Catherine Ramberg et Karine Spreuzkouski, cette série est réalisée par Alexandre Laurent qui a déjà beaucoup travaillé avec nous. Autre exemple, pour Profilage, ses deux créatrices Fanny Robert et Sophie Lebarbier sont impliquées dans la production, et le scénariste, producteur et auteur actuel, Maxime Berthemy, est présent sur les tournages.»

Adaptations et créations originales

Les scénaristes de la SACD s’inquiètent de la forte présence d’adaptations à l’antenne au détriment de la création originale. Mais c’est un argument qu’Anne Viau a démenti : « La programmation récente peut donner l’impression qu’il y a davantage d’adaptations, mais ce n’est pas le cas : nos marques historiques sont des créations, beaucoup des nouvelles également : Balthazar, Le Bazar de la charité, Munch... Effectivement Les Bracelets rouges est une adaptation, mais c’est un bon programme dont on ne voulait pas priver le public. J’ai une position assez libérée sur cette question. N’oublions pas que produire une adaptation, pour TF1, c’est long, compliqué et pas forcément plus rentable. »

En réponse à un scénariste qui citait les exemples de The Fall et de Doctor Foster, « projets que les producteurs nous refuseraient », Anne Viau a confirmé que la chaîne n’avait pas reçu de projet français équivalent. « Mais je peux vous donner l’exemple de la création de La Mante. Une femme serial killeuse qui renoue avec son fils enquêteur : il fallait oser y aller ! Infidèle, adapté de Doctor Foster, a cartonné avec 36% d’audience sur les femmes de -50 ans. Aujourd’hui pour exister il faut se démarquer. Nous souhaiterions développer une série transgressive sur le couple. La Mante, Pour Sarah, Balthazar : on veut de l’audace, de l’ambition, de la modernité, de l’aspérité. Nous avons même été les premiers à diffuser une série sur le transgenre avec Louis(e). »

Des programmes ancrés dans la réalité

Selon un scénariste, « pour tous les producteurs, travailler avec TF1 implique forcément de proposer une histoire en lien avec la famille. » « La famille n’est pas une obsession pour nous, lui a répondu Anne Viau. Nous cherchons des histoires identifiantes, intimes. Ce qui nous touche ce sont d’abord les personnages : par exemple l’avocate de Munch est une héroïne solitaire, Sam est une femme moderne, libre, qui a un regard insolent et décalé sur l’éducation. C’est une autre façon de parler de la famille. Le public aime les histoires intimes, les personnages avec des aspérités. Nous cherchons de nouveaux héros avec des failles, un point de vue sur le monde, qui disent tout haut ce qu’on pense tout bas. »

Par ailleurs, la nouvelle directrice a reconnu que TF1 prenait moins de risques avec la comédie. « Les Chamois a été un échec douloureux, signant la fin de la comédie à l’ancienne. Nous recevons peu de projets réussis, nous avons même parfois l’impression que les scénaristes s’autocensurent dans ce domaine. Les unitaires peuvent être une bonne porte d’entrée : nous cherchons de la comédie moderne, transgressive comme Shameless que je cite beaucoup en référence. De la comédie dans l’air du temps, ancrée, et non pas du « hors sol » ou du burlesque. Je défends également la collection des Coups de foudre, des comédies romantiques que nous aimons beaucoup. » Depuis quelques années, les drames tirés de faits divers ont la cote. « L’Emprise, gros succès d’audience et critique, a été un vrai déclencheur, a rappelé Anne Viau. Après L’Emprise, nous avons reçu mille propositions tirées d’histoires vraies, mais très sordides pour certains. Ce qui nous intéresse c’est la résonance de l’histoire sur les téléspectateurs. On peut aborder des histoires vraies frontalement, des faits divers mais aussi des faits de société comme la violence conjugale, le harcèlement scolaire, tant que ça touche le téléspectateur. Nous développons ainsi une affaire judiciaire française à la manière d’O.J. Simpson sur un format de six épisodes de 52 minutes. Pour procurer des émotions fortes, le spectre est très large : on peut explorer le thriller intime, l’affaire conjugale sans meurtre, l’infidélité, à la manière de The Affair. » De même, pour le fantastique ou le film catastrophe, la chaîne privilégie des héros quotidiens plongés dans des situations déstabilisantes ou extrêmes. Des héros de proximité en quelque sorte…

Valérie Ganne

L’équipe de la fiction de TF1 :

Anne Viau, directrice

Conseillers à la fiction :   

Caroline Maret : cmaret@tf1.fr

Jonathan Brecher : jbrecher@tf1.fr

Fabienne Arbelot : farbelot@tf1.fr